Disons-le nettement : il est légitime de vouloir que l’espace public soit un espace sécure, apaisé, où l’on puisse circuler sans entrave. De cela tout le monde sera d’accord. Il semblerait donc que certains secteurs de Châteauroux seraient le théâtre de comportements menaçant cette « tranquillité publique » que chacun est en droit d’attendre. Aussi Gil Avérous a-t-il pris un arrêté anti-mendicité, « suite à des plaintes récurrentes, notamment de commerçants de la galerie Molière », ainsi que le rapporte la Nouvelle République du 15 juin 2021. Dans le contexte sécuritaire de cette période, nul doute que cette décision sera saluée par beaucoup comme un exemple salutaire de fermeté.
Certaines questions demandent néanmoins à être posées, ce type d’arrêté n’étant pas une première. Comme le signale la même Nouvelle République dans un article de janvier 2017, le Conseil d’État avait mis un terme au bras de fer qui opposait depuis des années la Ville de Tours à la Ligue des Droits de l’Homme à propos de l’arrêté « tranquillité publique » pris par la municipalité sous Jean Germain. En rejetant le pourvoi de la ville contre cet arrêt, il avait confirmé la décision de mai 2016 de la Cour administrative d’appel de Nantes, qui avait estimé que « les interdictions édictées doivent être strictement proportionnées à leur nécessité (…) En l’absence de menace suffisamment grave pour l’ordre public justifiant la nécessité d’une telle mesure, le maire de Tours ne pouvait légalement prononcer l’interdiction de l’occupation prolongée des rues du centre historique et commercial de la ville pendant la période des fêtes de fin d’année. »
Jetons un œil sur le texte tourangeau en question. L’arrêté visait à interdire : « toute occupation abusive et prolongée des rues et autres dépendances domaniales, accompagnées ou non de sollicitations ou quêtes à l’égard des passants, accompagnée ou non de chiens, même tenus en laisse, lorsqu’elle est de nature à entraver la libre circulation des personnes, la commodité de passage et la sûreté dans les rues (…) »
Regardons maintenant l’arrêté de M. Avérous : y « est interdite, sauf autorisation spéciale, toute occupation abusive et prolongée des rues et autres dépendances domaniales (…), accompagnée ou non de sollicitations ou quêtes à l’égard des passants, accompagnée ou non de chiens, même tenus en laisse, lorsqu’elle est de nature à entraver la libre circulation des personnes, la commodité de passage et la sûreté dans les rues et autres dépendances domaniales susvisées ».
Le copié-collé est manifeste : pourquoi s’embêter à réécrire ce qui a été si bien énoncé par ailleurs ? La question se pose maintenant de savoir si un texte retoqué par la justice en 2016 peut être considéré comme valide en 2021 ? La Ligue des Droits de l’Homme s’était mobilisée à l’époque dès 2013, date du premier arrêté ; sera-t-elle active ici encore ?
Sommes-nous en présence d’une menace « suffisamment grave pour l’ordre public justifiant la nécessité d’une telle mesure » ? Les services de police ont-ils enregistré des violences effectives à l’égard de personnes ou des troubles significatifs pour l’ordre public ? Sans doute pas, car M. Avérous n’aurait pas manqué, on l’imagine, d’en étayer son argumentaire.
Ne sommes-nous pas plutôt en présence d’une pure et simple guerre aux pauvres ? Aux plus miséreux d’entre nous, à ces personnes sans domicile fixe pour qui, faute de pouvoir ou de vouloir leur offrir une existence plus digne, on s’arrange pour organiser l’invisibilité ? Au lieu de rechercher le dialogue, on « verbalise à longueur de journée » (curieux pour des personnes désargentées) et on va bientôt les « faire partir ».
Pourtant, le non-respect de cet arrêté martial ne constituera qu’une infraction passible d’une contravention de 1ère classe, la plus petite qui soit (au plus 38 euros), et il faudra que les policiers municipaux continuent à verbaliser pour constater cette infraction. Sauf décision judiciaire très improbable, il ne sera pas permis de « chasser » les quelques personnes visées.
Que cette mesure soit inefficace, illégale et dépourvue d’humanité, il semble que Gil Avérous n’en a cure. L’important est bien sûr l’affichage. Mais on ne se grandit pas à spéculer sur la misère. Mieux vaut y consacrer des moyens à la hauteur des enjeux humains.